mardi 24 mars 2009

Dans vos dents, les primitivistes


Ce petit clip a circulé sur internet et il m'a fait bien rire.

Je suis présentement un cours de sociologie sur la politique des sciences et de la technologie. En fait, j'en suis à me demander si je ne suis pas en train de rater complètement ma "carrière".

Selon moi, le meilleur de l'évolution et de la civilisation humaine se trouve à la Bibliothèque Gabrielle-Roy. C'est comme la pointe de l'iceberg de millions d'années d'évolution. Si ce n'étais pas de la bibliothèque Gabrielle-Roy je serais une personne complètement différente, et je doute fort que je serais à l'université aujourd'hui.

Ce mois-ci est sorti le DVD sur Dédé Fortin, "Dédé à travers les brumes". J'ai vraiment hâte de le voir. En fait, le premier disque (entendre cd) que j'ai écouté ça a été à la Bibliothèque Gabrielle-Roy. Il était possible, dans le coin des Enfants (!) de demander un disque et de l'écouter assis dans une immense banquette. Ce qui était le plus merveilleux de la chose c'était les écouteurs. Ils avaient des espèces de "mousse" immense de deux couleurs, jaunes et bleus. Le comble du chic était de demander une paire avec deux couleurs différentes. Là, on rockait le coin des enfants. J'ai donc demander le disque des éponyme des Colocs, nous sommes en 1993. Je m'en rappelle parfaitement. Je connaissais les chansons pour les avoir déjà entendues à la radio. Mais là c'était différent. J'étais le seul à les entendre. C'est comme si elles étaient chantées que pour moi, à travers la mousse jaune et bleue. Je me suis senti privilégié.

Puis, en 1994, on crée le club Crok-Livres. Je me suis défoncé dans la lecture d'une manière inégalée encore depuis. J'ai dû lire une centaine de livres en 100 jours. J'étais tellement fier de voir les étoiles s'accumuler devant mon nom et de porter fièrement le t-shirt (absolument horrible) du club. J'étais un nerd en devenir. Mais, c'est aussi là que j'ai dû admettre des réalités que je n'ai pas pu oublier depuis. 1. Les immigrants sont là pour rester. 2. Les jeunes immigrants savent lire et ils ont la ferme intention de lire plus de livres que moi et de gagner le concours Crock-Livres. Je crois que depuis ce moment je n'ai pas pu voir les immigrants comme des profiteurs ou des lâches. Et Québec, qui a la réputation d'être si blanche et homogène c'est pas la Québec de la Bibliothèque où les immigrants se tiennent. C'est pas dans un centre d'achat, c'est à la bibliothèque que la ville montre son ouverture et sa culture. Qu'on se le tienne pour dit.

La Bibliothèque avait encore, jusqu'à preuve du contraire, un abonnement quotidien à La Stampa, un journal italien qu'à peu près personne ne lisait à Québec mais aussi au journal cubain Granma, édition française svp. On peut penser ce qu'on veut du régime cubain mais parmi les centaines de journaux disponibles à Québec c'est sûrement un des seuls se réclamant d'un système différent que celui que nous connaissons. Et il était à Gabrielle-Roy.

Et si, aujourd'hui en 2009, quelqu'un proposait qu'au lieu d'emprunter des livres on puisse emprunter des oeuvres d'art pour les mettre dans son salon une couple de semaines et ensuite en mettre d'autres, on le traiterait de fou c'est assuré. Je n'ai évidemment jamais loué de peintures à la Bibliothèque mais j'ai toujours trouvé le principe génial.

Mais, pourquoi je délire sur la Bibliothèque Gabrielle-Roy? Parce que mon cours sur la science et la technologie m'a rappelé que j'aime la science. Vraiment. J'apprends dans ce cours des anecdotes et des découvertes qui font ressurgir cette passion d'enfant. Car, le soir, à Gabrielle-Roy, je participais au Club des Débrouillards. Cette initiation à la science pour les jeunes. Mon abonnement annuel à la revue s'est muté en abonnement à Québec Sciences à mesure que je vieillissais. Je n'aurais jamais dû le résilier. Autour de 1995, les Débrouillards ont tenu un genre de grand congrès à l'école primaire Fernand-Séguin à Ste-Foy. Une école publique mais "spécialisée". C'est là que j'ai été sur internet pour la première fois, à l'époque où le site de la NASA était LA référence. Ça faisait des années que le magazine des Débrouillards parlait d'"autoroute de l'information" mais je comprenais franchement rien à ce concept. Tout d'un coup, internet est apparu. C'est ce qui m'amène à la raison pourquoi j'écris ce post. Je suis émerveillé.

Dans ma conférence sur les sciences et technologie, le jeune enseignant(qui assiste
le prof Dominique Pestre) parlait d'à quel point le photocopieur a révolutionner le monde du savoir. Et là il a mentionné un appareil, que j'avais complètement oublié, où l'on tournait un rouleau et là ça ré-imprimait ce qui avait été écris à la main sur une feuille spéciale. En cherchant un peu sur internet j'ai compris que ça s'appelait une Ditto Machine. En fait, le seul souvenir que j'en ai c'est la couleur mauve et une drôle d'odeur. Je donne cet exemple juste pour vous illustrer le chemin parcouru.

Je fais présentement une recherche sur les fonds de travailleurs, genre le Fonds de solidarité FTQ. Dire que j'ai accès aux articles de journaux écris depuis 1980 directement sur internet (depuis la France!) paraît une évidence. Menute! Il y a 10 ans j'aurais dû me taper des micro-films qui rendent fou et étourdi. Là je tape des mots-clés et je fais copier-coller. INCROYABLE. Mais, encore mieux. Je suis en France. Mon sujet concerne le Québec. Il suffit de lire de vieux auteurs pour se rendre compte que la correspondance entre les auteurs est souvent aussi importante et riche que les textes officiels de ces mêmes auteurs. Là, je cherchais un texte de Louis Gill, un ancien prof de l'UQAM. Sciences-Po, contrairement à la prétention de la bibliothécaire de l'École doctorale, n'a pas tous les livres du monde (quoique c'est quand même la plus grande bibliothèque en sciences sociales de l'Europe continentale).

Je cherche donc sur un site révolutionnaire (je pèse mes mots), Les Classiques des Sciences Sociales. Plusieurs profs français, qui veulent que les étudiants lisent un texte, leur disent: "Aller sur le site des Classiques, c'est un site d'un canadien, Jean-Marie Tremblay". Ils le disent comme s'il connaissait Mister Tremblay. Qu'est-ce que c'est ce site? Si vous étudiez en sciences sociales, vous le connaissez, pour les autres donc. Un prof de socio obscur de Chicoutimi s'est mis en tête de scanner et de recopier des milliers de livres de sciences sociales. Comme ça. Bénévolement. Le type dit consacrer "tout ses temps libres" à la tâche. Je le crois. Ses motivations? Notamment, "je me sens aussi comme les moines du début du Moyen Age (XIe et XIIe siècles) qui retranscrivaient pour la postérité les textes latins." Le site indique qu'il y a 3775 oeuvres originales de 1145 auteurs.

Pour en revenir à ma recherche. Il y a disons 50 ans, rien de tout ça n'existait évidemment. Pour pouvoir lire le texte du professeur Gill j'aurais dû lui envoyer une lettre (ou un télégramme), attendre sa réponse et puis... Je sais pas. Il aurait envoyer par la poste le texte (qui aurais pris un bout à arriver) et je l'aurais payé d'une certaine manière. On aurait sûrement correspondu un certain temps et l'opération aurais pu prendre des mois. D'autant plus que je n'aurais sûrement pas pu connaître l'existence de ce texte que grâce à des "contacts". Car il y a sûrement pas de petits tiroirs avec des fiches sur un article scientifique québécois.

Que s'est-il passé cette semaine? Quand j'ai vu que le texte de M. Gill n'étais pas sur le site du prof Tremblay, j'ai ouvert mon compte email et je lui ai écrit. Il m'a répondu SEPT MINUTES PLUS TARD. Pour me dire, que, de fait, il croyait avoir mis le texte en ligne mais que finalement non. J'écris au prof Gill. Il me répond LE LENDEMAIN. Le surlendemain, son texte était sur le site des Classiques. Je capote! C'est tu pas beau la vie.

Derrière cette technologie il y a aussi des humains dévoués. Peut-être que Jean-Marie Tremblay s'inscrira dans l'histoire des sciences francophones comme un de ceux-là.

1 commentaire:

Sophie Zhang a dit...

Je n'ai pu m'empêcher de faire un commentaire.

Mon école secondaire s'appelait le Collège régional Gabrielle Roy. Tu connais Mme Roy? Une des plus grandes auteures canadiennes, selon certains. La première à décrire le prolétariat francophone et l'enfer des villes. On lui doit même la citation au verso des nouveaux billets de 20$. Et franco-manitobaine. Née et grandi à Saint-Boniface, le quartier francophone de Winnipeg. Mais revendiquée par les Québécois.

J'ai toujours été émerveillée par ton style d'écriture. Je comprends maintenant que c'est grâce à autant de lecture. Ton histoire me rappelle mon enfance, quand j'en arrivais à lire les séries Chair de Poule parce que j'avais passé à travers tous les livres de la biblio. Et ça me rappelle aussi quand j'ai passé deux mois dans un minuscule village, Ste-Geneviève-de-Bastiscan, où on avait des compétitions de lecture, moi contre le gars le plus brillant de la classe, mon plus grand rival, que j'admirais secrètement. Il en restait bouche bée. La première non blanche qu'il avait jamais rencontrée et la première personne à contester sa supériorité.

Quand je vois mon frère de 10 ans et ma soeur de 12 qui, dans leur petite école franco-manitobaine, ont accès à quelques centaines de livres français usés qui ne les intéressent pas, je me demande où ils peuvent bien aller pour enrichir leur vocabulaire et leurs idées...

Le phénomène que tu décris, on l'appelle en anglais "entitlement". Les privilèges deviennent banalités deviennent droit. C'est peut-être le plus gros défaut de la "modernisation". Sans quoi je ne sentirais probablement aucune (ou très peu de) réticence face à la technologie.